Du haut de la brèche au diable
Vue vers la cascade
Article et photos de Yves Buffetaut
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La Suisse Normande est connue de nombreux touristes avec ses paysages grandioses, taillées par l'Orne. Mais le site de la Brèche au diable, près de Falaise, n'a jamais connu la même publicité. Pourtant, l'endroit est étonnant et merveilleux : une étroite vallée encaissée, couverte d'arbres et arrosée par un torrent tumultueux, au pied de falaises verticales, dont l'une accueille le tombeau romantique d'une actrice parisienne morte en 1798.
En dehors de la légende dont nous parlons plus loin, ou plutôt des légendes, car les histoires ne sont pas toutes les mêmes, le site a une histoire fort ancienne, puisque les vestiges les plus anciens trouvées sur place remontent au paléolithique, soit 200 000 ans avant Jésus-Christ.
Sur le versant sud du plateau, des archéologues ont découvert en 1882 un petit abri-sous-roche et quelques silex bien taillés.
Le Laizon est tumultueux dans la vallée étroite
La préhistoire récente
Au Néolithique, vers 4000 ou 3500 avant JC, des groupes d'agriculteurs s'installent sur l'éperon, qui offre ybe excellente protection dans trois directions. Vers l'est, où il n'y a aucun abrupt, ces hommes élèvent un rempart de terre. Le premier groupe identifié est issu du grand courant de peuplement danubien, il appartient au groupe de Cerny.
Vers 3500, ce sont les Chasséens qui s'établissent sur l'éperon barré. Cette civilisation est connue pour ses poterie de bonne qualité, dont des éléments ont été trouvés lors de fouilles, ainsi que des pierres polies. Il semble qu'à cette époque a commencé l'extraction du silex dans la plaine voisine et que les haches nécessaires aux paysans pour défricher étaient ébauchées au Mont-Joly, puis achevées dans la vallée du Laizon où les silex étaient polis sur des blocs de grés abrasifs.
A l'âge de bronze, un artisan fondeur avait un atelier à l'emplaceemnt du tombeau de Marie Joly. On y a retrouvé des haches, des poignards, des épées et des pointes de lance. La levée de terre que l'on distingue encore aujourd'hui date probablement de cette époque. Ce rempart mesure environ 150 mètres de long et sa hauteur ne devait pas dépasser trois mètres.
Des gaulois aux mérovingiens
Des fouilles ont permis de découvrir près de l'éperon trois sépultures attribuées à la culture de Halstatt, une très ancienne culture celte, et, sur le Mont-Joly, des monnaies gauloises.
La période gallo-romaine a également laissé des traces, avec un probable fanum, c'est à dire un petit temple rural, qui se trouve à côté de l'ancienne auberge du Mont-Joly. Sur toute l'étendue du mont, on a d'ailleurs découvert de nombreux tessons de poteries gallo-romaines.
Enfin une nécropole mérovingienne, datant d'environ 700 ans après Jésus-Christ, a été découverte, puis étudiée par M. Edeine.
Les légendes diaboliques
D'après une légende, le site aurait été façonné par le diable lui-même, à la suite d'un marché de dupe avec Saint Quentin qui vivait sur place en ermite. Conscient que les débordements du Laizon empoisonnait les habitants de la vallée, saint Quentin décida de proposer un pacte avec le diable : il devait à la fois ouvrir un passage au Laizon à travers la roche et surmonter une épreuve, en l'occurence, laver une toison dans le ruisseau pour lui donner la blancheur de l'agneau. Ceci fait, il pourrait s'emparer de l'âme de Saint Quentin. Ouvrir le passage à la rivière au milieu de la roche n'est pas une épreuve bien difficile pour le démon, mais la toison de bouc fournie par Saint Quentin se révèle impossible à blanchir et le saint garde son âme pour Dieu.
L'autre légende est plus compliquée et ne met pas en scène saint Quentin, mais une belle demoiselle, Lucia, amoureuse d'un chevalier à l'armure noire, dont elle a vu les exploits lors d'un tournoi. Au lieu de cela, c'est le diable lui même qui l'enlève. Lucia parvient cependant à s'échapper, ce qui provoque une terrible colère de Lucifer, qui brise les rochers et en fait le chaos actuel au milieu duquel coule le Laizon. Il découvre bientôt le corps épuisé de la jeune fille et tente de s'en emparer lorsque surgit le fameux chevalier noir. Le diable pense n'en faire qu'une bouchée, mais lorsque Lucia pousse un grand cri pour alerte son chevalier, il comprend qu'il ne pourra sans doute jamais posséder son âme et se retire.
Le tombeau de Marie Joly
La curiosité naturelle que forme l'étroite gorge vaut assurément le voyage, mais la visite du tombeau de Marie Joly, qui surplombe le chaos rocheux, mérite d'être faite. Il n'est ouvert que le week-end.
Marie Joly est née à Versailles en 1761. fille d'un costumier, elle monte sur les planches dès l'âge de 7 ans, pour jouer le rôle de Louison dans Le malade imaginaire de Molière. Son succès commence aussitôt et elle devient sociétaire de la comédie française le 27 mars 1783, à l'âge de 22 ans. Elle s'y illustre dans le rôle de Dorine, dans Tartuffe, dans celui de Toinette du malade imaginaire, de Martine des femmes savantes ou encore de Nicole du Bourgeois gentilhomme. Elle joue également quelques rôles dans des tragédies.
Elle épousa Nicolas Fouquet Dulomboy, capitaine de cavalerie et maire de Tassily-Saint-Quentin, où il possède le manoir de Poussendre. Marie aime s'y reposer avec ses enfants et son mari.
La révolution bouleverse sa vie, comme celle de beaucoup d'autres. Dénoncée comme royaliste par Danton, elle est emprisonnée durant cinq mois à Sainte-Pélagie, avec d'autres comédiens de la Comédie française. Libérée, elle reprend peu de temps sa carrière, se consacrant à ses cinq enfants. La maladie la frappe et elle décède prématurément à l'âge de 37 ans seulement. Son époux, éploré, décide de l'inhumer au sommet de la Brèche au Diable, non loin de son manoir.
Plusieurs mois après l'enterrement, M. Dulomboy décide de faire construire un tombeau qui serait l'exacte réplique de celui de Jean-Jacques Rousseau, dont Marie était une fervente admiratrice. Il fait appel au même architecte, Lesueur, qui ajoute sur la façade est, une représentation de Marie Joly allongée, grandeur nature. Sur la face ouest, qui domine la gorge, se trouve l'épitaphe suivante : "Ci-gît : Marie-Elisabeth Joly, femme Dulomboy, la meilleure des mères, la plus douce et la plus sensible des femmes, la plus tendre des épouses. Amante de la nature, artiste célèbre, elle décéda à Paris le seize Floréal an VI (5 mai 1798), âgée de 37 ans. Hommes, respectez sa cendre."
Marie Joly, allongée, sur la façade est de son tombeau
L'une des épitaphes de la tragédienne sur son tombeau à l'ouest
Pour être sûr que le tombeau soit respecté, il en confie la garde à la famille Kermaëdic, qui a tenu parole jusqu'à aujourd'hui, puisque la visite se fait toujours sous la conduite d'une dame Kermaëdic, qui tient très à coeur d'entretenir le souvenir de Marie Joly.
Comment s'y rendre
Sur la N158, de Caen à Falaise, prendre la sortie Potigny. Là , prendre la direction de Soumont-Saint-Quentin. Prendre à droite vers le moulin, une route qui descend dans la vallée. La Brèche au Diable est fléchée. Il faut continuer à pied, le long du Laizon, pour s'engager dans la gorge. Les pierres sont glissantes et on peut facilement tomber à l'eau !
Pour gagner le tombeau de Marie Joly, il faut continuer la même route, puis tourner à droite vers le Mont-Joly (fléchage). Le site du tombeau est ouvert le dimanche après-midi et souvent aussi le samedi après-midi.
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